feindre
- 1Faire, produire, prendre une apparence fausse pour tromper ou, simplement, pour faire croire quelque chose.
Pour ne vous rien feindre, Je crois l'aimer assez pour ne pas la contraindre
. [Corneille, Suréna]Et je feins hardiment d'avoir reçu de vous L'ordre qu'on me voit suivre et que je donne à tous
. [Corneille, Le Cid]Il feignait de m'aimer, je l'aimais en effet
. [Corneille Th. Ariane]Feignez, si vous voulez, de ne me pas entendre
. [Molière, L'étourdi, ou Les contretemps]Pourquoi feindre à nos yeux une fausse tristesse ?
[Racine, Iphigénie en Aulide]Elle a feint de passer chez la triste Octavie
. [Racine, Britannicus]Parce qu'elle feignait d'être bonne, elle croyait l'être en effet
. [Marivaux, Le paysan parvenu]Il [Charles XII] resta dix mois couché, feignant d'être malade
. [Voltaire, Histoire de Charles XII]La Fontaine a employé feindre sans la préposition de : Lui [renard] qui n'était novice au métier d'assiégeant, Eut recours à son sac de ruses scélérates, Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes, Fabl. XII, 18.
Absolument.
Il est honteux de feindre où l'on peut toutes choses
. [Corneille, Pertharite, roi des Lombards]C'est qu'ils ont l'art de feindre, et moi je ne l'ai pas
. [Molière, Le misanthrope]Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir ; Et, quand je le pourrais, je n'y puis consentir
. [Boileau, Satires]Il feint, il me caresse et cache son dessein
. [Racine, Mithridate]Feignons, et de son coeur, d'un vain espoir flatté, Par un mensonge adroit tirons la vérité
. [Racine, ib. III, 4]J'ai feint quelques instants pour ne feindre jamais
. [Dorat, Feinte par amour, III, 6]Un proverbe italien dit : Qui ne sait pas feindre, ne sait pas vivre
. [Staël, Corinne, ou l'Italie] - 2Supposer.
Il est nécessaire de feindre qu'il [Dieu] soit trompeur, si nous voulons révoquer en doute les choses que nous concevons clairement
. [Descartes, Rép. II, 29]Controuver, imaginer.
Le roi pour vous tromper feignait cet hyménée
. [Racine, Iphigénie en Aulide]Il ne vient qu'à la fin de la tragédie ; et c'est pour prononcer une loi telle que les anciens les feignaient dictées par les dieux
. [Voltaire, Guèbres, Disc. hist. et crit.]On trouve dans le code théodosien un édit de Constantin où il déclare qu'il a fondé Constantinople par ordre de Dieu ; il feignait ainsi une révélation pour imposer silence aux murmures
. [Voltaire, Essai sur les moeurs et l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis XIII]Feindre à quelqu'un, rapporter faussement.
Pour perdre mon rival j'ai découvert sa trame, Euphorbe vous a feint que je m'étais noyé
. [Corneille, Cinna, ou La clémence d'Auguste][Elle].... leur feint de ma part tant d'outrages reçus Que ces faibles esprits sont aisément déçus
. [Corneille, Médée]Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez, Vous cachez des trésors par David amassés
. [Racine, Athalie]Se feindre quelque chose, feindre à soi quelque chose, supposer à soi quelque chose.
Ne voilà pas, dis-je, cette volage qui se feint de nouveaux prétextes de haine et de jalousie
. [D'urfé, Astrée, I, l.]Mon esprit.... Se feignant, pour passer le temps, Avoir cent mille écus comptants
. [Régnier, Épîtres] - 3Hésiter, faire difficulté. Il se construit avec la préposition à, quand il n'est pas accompagné d'une négation.
Feindre à s'ouvrir à moi dont vous avez connu Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu
. [Molière, Le dépit amoureux]Tu feignais à sortir de ton déguisement
. [Molière, L'étourdi, ou Les contretemps]Vous ne devez point feindre à me le faire voir
. [Molière, Le misanthrope]Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre
. [Molière, L'avare]Il se construit avec la préposition de, quand il est accompagné d'une négation.
Ainsi, monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l'offense que nous cherchons à venger....
[Molière, Dom Juan, ou le Festin de Pierre]Nous ne feignons point de mettre tout en usage
. [Molière, Monsieur de Pourceaugnac]Monsieur et madame, ne feignez point de me mettre au nombre de ceux que vous aimez et qui vous aiment ; toute ma vie vous persuadera que je mérite d'y être
. [Sévigné, Au comte de Guitaut, 23 nov. 1673]Au lieu d'expédier sur-le-champ des marchands et des ouvriers, il [l'orgueilleux] ne feint point de les renvoyer au lendemain matin
. [La Bruyère, Théoph. XXIV]Nesmond ne feignit pas de dire qu'il se croirait coupable de la prévarication la plus criminelle, s'il dissimulait que le pain de la parole manquait au peuple
. [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon]Quelquefois il tombe dans des difficultés où il ne feint point d'avoir recours soit à la volonté de Dieu qui opère sans mécanisme, soit au dessein qu'il a eu de nous cacher le mécanisme
. [Fontenelle, Ruysch.] - 4 Terme de manége. Feindre en marchant, se dit d'un cheval et aussi d'une personne qui boite légèrement ou d'une façon presque invisible à l'oeil.
- 5Se feindre, vpron Se supposer. Se feindre coupable.
Dorise se feint être un jeune gentilhomme contraint pour quelque occasion de se retirer de la cour
. [Corneille, Clitandre]Absolument. Cacher ce qu'on sent, ce qu'on pense.
Et puis je ne saurais me forcer ni me feindre
. [Régnier, Satires]Être feint.
Et parce que cela ne se peut pas même feindre....
[Descartes, Rép. II, 29]
REMARQUE
Voltaire condamne le régime indirect avec feindre ; mais les exemples de Corneille paraissent irréprochables.
SYNONYME
FEINDRE, DISSIMULER. Étymologiquement, feindre, c'est donner une forme comme l'artiste fait à la terre qu'il moule ; dissimuler, c'est rendre dissemblable. De là la distinction entre ces deux verbes : celui qui feint forme, présente, produit ce qui n'est pas ; celui qui dissimule cache ce qui est : on dissimule sa joie, sa haine ; on feint de la joie, de l'amitié.
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