dérober

• 1Enlever par larcin, prendre furtivement ce qui appartient à autrui. On m'a dérobé mon argent. [Molière, L'avare] L'impossibilité de subsister jusqu'au temps de leurs récoltes les força de descendre dans la plaine pour y dérober des vivres. [Raynal, Histoire philosophique et politiques des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes]

  Familièrement. S'il a du bien, il ne l'a pas dérobé, il l'a bien gagné.

  Absolument. Vous ne déroberez point, et nul ne trompera son prochain. [Sacy, Bible, Lévit. XIX, 11]

  Terme de fauconnerie. Un faucon dérobe les sonnettes, quand il s'en va sans être congédié.

  Fig. Dérober à quelqu'un la gloire qui lui est due. Et je n'ai jamais su dérober mes succès. [Corneille, Sertorius] Jamais on ne m'a vu dérober la victoire. [Racine, Alexandre le grand]

  Dérober se dit d'un auteur qui s'approprie des pensées, des expressions, des passages d'un autre auteur. C'est un plagiaire ; ce que vous louez, il l'a dérobé.

• 2Prendre par surprise ou par adresse. Dérober un baiser. Faut-il que je dérobe avec mille détours Un bonheur [de voir Junie] que vos yeux m'accordaient tous les jours ? [Racine, Britannicus] Chaque fois que je suis tenté de vous dérober la moindre caresse. [Rousseau, Julie, ou la Nouvelle Héloïse]

  Poétiquement. Vous avez donc perdu ces puissantes merveilles Qui dérobaient les coeurs et charmaient les oreilles. [Mairet, Sophonisbe]

• 3Avec un complément direct de personne. Dépouiller quelqu'un par larcin. Ce domestique dérobe ses maîtres. Pour aller ainsi vêtu il faut que vous me dérobiez. [Molière, L'avare]

  Fig. Nos aïeux ont pensé presque tout ce qu'on pense ; Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont faits d'avance ; Mais le remè de est simple, il faut faire comme eux : Ils nous ont dérobés, dérobons nos neveux. [Piron, La métromanie, ou Le poète]

• 4Faire perdre. Chaqueinstant nous dérobe une partie de nous-mêmes. Il ne cessait de se plaindre de sa destinée qui lui dérobait la victoire. [Vaugelas, Q. C. liv. III, dans RICHELET]
• 5Dérober quelques moments à ses affaires, prendre sur ses occupations des moments que l'on consacre à autre chose. Quoi ! pour vous confier la douleur qui m'accable, à peine je dérobe un moment favorable. [Racine, Britannicus]
• 6Soustraire à, enlever à, préserver de. À ses premiers transports dérobe ta présence. [Corneille, Le Cid] Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime. [Corneille, ib. III, 4] Son trépas dérobait sa tête à ma poursuite. [Corneille, ib. IV, 5] Dérobe au moins ta tête à ce pressant danger. [Corneille, Cinna, ou La clémence d'Auguste] Et sa tête qu'à peine il a pu dérober. [Corneille, La mort de Pompée] Cet homme périt sur mer avec ses enfants et sa femme en voulant dérober leur vie aux persécutions. [Molière, L'avare] Il fut dérobé à la fureur de son aïeule. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle] Josabeth, fille du roi, prit Joas, fils d'Ochozias, et le déroba du milieu des autres enfants du roi, lorsqu'on les massacrait. [Sacy, Bible, Paralip. II, 22, 11] Ma funeste amitié pèse à tous mes amis ; Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête. [Racine, Mithridate] Quels empressements Vous dérobent sitôt à nos embrassements ? [Racine, Iphigénie en Aulide] Les petites affaires vous déroberaient aux grandes. [Fénelon, Télémaque] Bientôt la mort va me dérober au présent qui m'attriste et à l'avenir qui m'effraye. [Maintenon, Lettres] Et je reprends ma gloire et ma félicité En dérobant mon sang à l'infidélité. [Voltaire, Zaïre] À dérober vos jours au fer des assassins. [Voltaire, Octave et le jeune Pompée, ou Le triumvirat] Je dérobai une victime à mes ennemis. [Montesquieu, Lettres persanes] Je prie le ciel qu'il te dérobe à tous les dangers. [Montesquieu, ib.]
• 7Cacher à la vue, aux regards, à la connaissance. Un mur lui dérobait la vue de la campagne. Faut-il qu'à vos yeux seuls un nuage odieux Dérobe sa vertu qui brille à tous les yeux ? [Racine, Phèdre] Peut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire ? [Racine, Athalie] Une noire tempête déroba le ciel à nos yeux. [Fénelon, Télémaque] Pour dérober aux amants de Pénélope le retour de Télémaque. [Fénelon, ib. IX] Un tourbillon de flamme le déroba presque à ma vue. [Fénelon, ib. X] Mes larmes malgré moi me dérobent sa vue. [Voltaire, Zaïre] Mars entra dans la mêlée, une poussière épaisse commença à le dérober. [Montesquieu, Le temple de Gnide] Ô crime ! ô honte ! ô cruel souvenir ! Fatal voyage ! aux yeux de l'avenir Que ne peut-on en dérober l'histoire ! [Gresset, Ver-Vert]

  Terme d'art militaire. Dérober une marche, une étape, la faire à l'insu de l'ennemi. Il est piqué au vif de l'habileté du maréchal de Villars, qui lui a dérobé une marche. [Maintenon, Lettres]

  Terme de chasse. Un chien dérobe la voie, quand il chasse sans crier, étant à la tête de la meute.

  Terme de marine. Cette voile, cette côte dérobe le vent, l'intercepte. Un vaisseau dérobe le vent à un autre, quand il passe trop près de lui du côté du vent.

• 8Ôter l'enveloppe de certaines graines. Dérober des fèves.
• 9Se dérober, vpron Disparaître, se soustraire. Se dérober à tous les yeux, aux recherches. Non pour me dérober aux rigueurs du supplice. [Corneille, Polyeucte] Dérobons-nous, mon frère, à ces âmes cruelles, Et laissons-les sans nous achever leurs querelles. [Corneille, Rodogune, princesse des Parthes] Quiconque se dérobe à l'humble obéissance Bannit ma grâce en même temps. [Corneille, L'imitation de Jésus-Christ] Je me suis dérobée au bal pour l'amour d'eux. [Molière, L'école des maris] Le docteur.... Se dérobe à sa furie. [La Fontaine, Contr.] Je me dérobe à cet embarras. [Sévigné, 367] On la vit souvent se dérober à sa dignité. [Fléchier, Oraisons funèbres] Je l'ai vu dans leurs bras quelque temps se débattre, Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober. [Racine, Andromaque] Fidèle à sa douleur et dans l'ombre enfermée, Elle se dérobait même à sa renommée. [Racine, Britannicus] Souffrez que, de vos coeurs rapprochant les liens, Je me cache à vos yeux et me dérobe aux siens. [Racine, ib. III, 8] Elle se donne au public avec autant d'empressement qu'elle s'y dérobait. [Maintenon, Lettres] Pour se dérober à la fureur des persécutions. [Massillon, Car. Temples.] À la proscription peu se sont dérobés. [Voltaire, Octave et le jeune Pompée, ou Le triumvirat] Quoi ! vous voulez vous dérober à moi ? [Voltaire, Nan. II, 3]
• 10Se dérober de, quitter. Je me dérobai de mes camarades qui ne s'y attendaient pas. [Scarron, Le Roman comique] Il vous dira.... que, durant qu'il dormait, je me suis dérobée d'auprès de lui. [Molière, George Dandin] ....cet homme se dérobe D'avec sa femme. [La Fontaine, Serv.] Télémaque se dérobe du camp pendant la nuit. [Fénelon, Télémaque]

  Absolument. M. de Charost se déroba et vint avertir mon grand-père. [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon] Me puis-je avec honneur dérober [enfuir] avec vous. [Racine, Phèdre]

  Fig. Ma plainte se dérobe et m'échappe du coeur. [Régnier, Élégies]

• 11Se cacher. Le chevreuil est plus adroit à se dérober, plus difficile à suivre que le cerf. [Buffon, Chevreuil.]

  Être caché. Quels rapports moraux, politiques ou religieux se sont dérobés à Pascal ? [Chateaubriand, Le génie du christianisme, ou Les beautés de la religion chrétienne]

• 12Manquer, faire défaut. La mer agitée semblait se dérober sous le navire. [Fénelon, Télémaque]

  Fléchir, manquer, en parlant des genoux. Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi. [Racine, Phèdre] Mes genoux se dérobaient sous moi. [Fénelon, Télémaque] Ses genoux commençaient à se dérober sous lui. [Fénelon, ib. XX]

• 13 Terme de manége. Ce cheval se dérobe de dessous l'homme, se dit d'un cheval qui, tout à coup et par un mouvement irrégulier, s'échappe de dessous l'homme qui le monte.

  PROVERBE

  Est bien larron qui larron dérobe.