suffire

• 1Pouvoir fournir, pouvoir satisfaire, en parlant des choses. Il fallait que cette modique somme suffît pour élever trois orphelins. Attendons-nous que Dieu ressuscite les morts pour nous instruire ? ce qui entre aujourd'hui dans le tombeau doit suffire pour nous convertir. [Bossuet, Oraisons funèbres] Le moindre rayon de beauté qu'elle [l'âme] y aperçoit [dans le corps] suffit pour l'arrêter ; elle se mire, pour ainsi parler, et se considère dans ce corps. [Bossuet, Oraisons funèbres] C'est trop pour un mortel de tenter un effort Où les forces d'un dieu ne suffisent qu'à peine. [Quinault, Phaéton, IV, 11] Un père, en punissant, madame, est toujours père ; Un supplice léger suffit à sa colère. [Racine, Phèdre] La France seule pouvait à peine suffire à réparer des pertes si énormes. [Racine, Louis XV, 35] Ces bruits publics qui ont éclaté dans tous les temps et dans tous les États à la mort des princes enlevés par une mort prématurée, comme si la nature ne suffisait pas à nous détruire. [Voltaire, Histoire de l'empire de Russie sous Pierre le Grand] Une seule partie de l'histoire naturelle, comme l'histoire des insectes ou l'histoire des plantes, suffit pour occuper plusieurs hommes. [Buffon, Histoire naturelle générale et particulière] Ce qu'il faut pour le bonheur physique d'un seigneur, suffirait souvent pour faire celui de tout son village. [Duclos, Consid. moeurs, 15] Quand on juge d'après ses craintes, ce qui ne suffirait qu'à la rigueur ne suffit pas ; et on croit ne trouver ce qui suffit que dans ce qui abonde jusqu'à un certain point. [Condillac, Comm. gouv. I, 4]

  Cela me suffit, cela suffit, ou, simplement, suffit, voilà qui est bien, c'est assez. Suffit, je t'entends bien. [Hauteroche, Les apparences trompeuses] Le comte de Bussy ne laissa pas d'adresser ce qu'il avait fait [traduction des Amours d'Hélène], si ce fut à Mme de Sévigné ou bien à Mme de la Fayette, je ne sais ; suffit que ce fut à une femme de beaucoup d'esprit. [Courier, Éloge d'Hélène.]

• 2Il se dit des personnes en un sens analogue. Les nomades n'ont bergerie Qu'il [le lion] ne suffise à désoler. [Malherbe, III, 3] Le roi leur montra bien qu'il suffit à tout. [Pellisson, Lettres historiques] Jérémie lui-même, qui seul semble être capable d'égaler les lamentations aux calamités, ne suffirait pas à de tels regrets. [Bossuet, Oraisons funèbres] Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices. [Racine, Athalie] Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés, Suffisent à ma cendre et l'honorent assez. [Racine, Mithridate] Si vous m'aimez, je dois vous suffire. [Duclos, Oeuv. t. VIII, p. 87] Ah ! si j'avais suffi à son coeur, comme elle suffisait au mien, quels paisibles et délicieux jours nous eussions coulés ensemble ! [Rousseau, Les rêveries d'un promeneur solitaire] La surprise, la joie, trop de mouvements agitent mon âme, elle ne peut y suffire. [Genlis, Théât. d'éd. Zélie, v, 10]
• 3Il s'emploie impersonnellement. Tout beau, que votre haine, en son sang [celui de Pompée] assouvie, N'aille point à sa gloire ; il suffit de sa vie. [Corneille, La mort de Pompée] On recherche les honneurs ; elle a jugé qu'il suffisait de s'en rendre digne. [Fléchier, Oraisons funèbres] Dans le crime il suffit qu'une fois on débute ; Une chute toujours attire une autre chute. [Boileau, Satires] Il suffit de tes yeux pour t'en persuader. [Racine, Phèdre] Que de choses depuis Varron, que Varron a ignorées ! ne nous suffirait-il pas même de n'être savants que comme Platon ou comme Socrate ? [La Bruyère, XII] Il me suffit d'avoir mené votre esprit aussi loin que vont vos yeux. [Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des Mondes] Il suffit que M. le marquis ait du goût ; c'est aux artistes à travailler pour lui. [Voltaire, Jeannot et Colin] Je sais qu'aux Castillans il suffit de l'honneur. [Voltaire, Alzire, ou Les américains]

  Absolument. L'honneur parle, il suffit, ce sont là nos oracles. [Racine, Iphigénie en Aulide] Il suffit ; comme vous je ressens vos injures. [Racine, Britannicus] Il a mordu le sein de sa nourrice : elle en est morte la pauvre femme, je m'entends, il suffit. [La Bruyère, XII]

  Elliptiquement. Vous croiriez que Pison est plus digne de Rome ; Pour ne plus en douter, suffit que je le nomme. [Corneille, Othon] Suffit qu'en bel esprit on vous ait érigé, Pour ne pouvoir prétendre à la moindre fortune. [Deshoul. Poés. t. I, p. 37]

• 4Se suffire, n'avoir pas besoin du secours des autres. Elles se sont toujours suffi. N'attendez rien de grand de qui croit se suffire. [La Motte, Fabl. III, 7] Malgré ses talents et les ressources de son esprit, il [le régent] ne pouvait longtemps se suffire à lui-même ; la dissipation, le bruit, la débauche lui étaient nécessaires. [Duclos, Oeuv. t. v, p. 201] Quand on se suffit l'un à l'autre, s'avise-t-on de songer à un tiers ? [Rousseau, Julie, ou la Nouvelle Héloïse] Ah ! ma fille, la triste et pénible résolution que celle de vivre seul, et de suffire à soi-même ! l'homme est trop faible pour se soutenir. [Marmontel, Contes moraux]

  PROVERBE

  À chaque jour suffit sa peine, il ne faut pas se faire de chagrins d'avance.

  Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.