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tourner

vt (tour-né)

Résumé

  • 1° Façonner au tour.
  • 2° Fig. par comparaison avec la façon d'un tour, arranger d'une certaine manière les mots et les pensées.
  • 3° Détacher en spirale l'écorce d'un fruit.
  • 4° Mouvoir en rond, circulairement.
  • 5° D'une façon plus générale, donner un mouvement qui tient du mouvement en rond.
  • 6° Diriger vers.
  • 7° Faire le tour de.
  • 8° En termes de guerre, tourner l'ennemi.
  • 9° Changer le côté, la situation d'une chose.
  • 10° Fig. Donner une certaine direction, en parlant de choses morales.
  • 11° Donner une certaine manière d'être, un certain aspect.
  • 12° Tourner contre, rendre contraire à.
  • 13° Disposer, arranger.
  • 14° Changer.
  • 15° Tourner le sang, causer une vive et pénible impression.
  • 16° Traduire.
  • 17° Agir sur la volonté.
  • 18° Tourner quelqu'un dans tous les sens, de tous les côtés.
  • 19° Examiner de tous les côtés.
  • 20° Tourner une case.
  • 21° vi Se mouvoir en rond.
  • 22° Se mouvoir, être mû à droite ou à gauche par un mouvement qui a quelque chose du mouvement en rond.
  • 23° Tourner, en termes de chasse.
  • 24° Tourner, en termes de manége.
  • 25° Tourner, en termes de peinture.
  • 26° Changer de côté, de situation.
  • 27° Se diriger vers.
  • 28° Fig. Tourner vers, incliner vers, en parlant des choses morales.
  • 29° Aller et venir.
  • 30° Hésiter, balancer, essayer, tenter.
  • 31° La tête lui tourne.
  • 32° Fig. Dépendre essentiellement.
  • 33° Changer.
  • 34° Tourner en, se changer en.
  • 35° Tourner à la mort.
  • 36° Avoir une certaine issue.
  • 37° S'altérer, prendre une mauvaise qualité.
  • 38° Tourner au gras.
  • 39° Se déformer, se déranger.
  • 40° Tourner à, se dit d'une couleur qui incline vers une certaine nuance.
  • 41° Prendre de la couleur, commencer à mûrir.
  • 42° Pommer, en parlant des laitues.
  • 43° Populairement, tourner de l'oeil.
  • 44° Impersonnellement, se dit, dans quelques jeux, de la carte qu'on découvre.
  • 45° vpron Se tourner, être mû en rond.
  • 46° Se donner des mouvements qui tiennent du mouvement en rond.
  • 47° Se diriger vers.
  • 48° S'adresser à.
  • 49° Prendre parti.
  • 50° Se tourner contre, être contraire, lutter contre.
  • 51° Avoir une certaine issue.
  • 52° Se tourner à la mort.
  • 53° Se tourner à, arriver à, par un certain revirement.
  • 54° Se tourner en, se changer, passer d'un état à un autre.
  • 55° Devenir autre.
  • 56° S'égarer, en parlant de l'esprit.
  • 57° Prendre une certaine tournure, une certaine manière.
  • 1Façonner au tour. Tourner l'ivoire, l'argent, le fer.

    Par extension. Les Grecs ont tourné l'élégante colonne corinthienne avec son chapiteau de feuilles, sur le modèle du palmier. [Chateaubriand, Le génie du christianisme, ou Les beautés de la religion chrétienne]

    Absolument. Un ouvrier qui tourne bien.

  • 2 Fig. Par comparaison avec l'action du tour qui façonne, arranger d'une certaine manière les mots ou les pensées. Quelques poëtes, qui avaient dans la tête des vers difficiles à tourner. [Scarron, Le Roman comique] Vous tournerez cela, ma fille, beaucoup mieux que moi, et je suis persuadée que cette sollicitation fera un grand effet. [Sévigné, 570] Philisbourg est pris, ma chère enfant, votre fils se porte bien ; je n'ai qu'à tourner cette phrase de tous côtés, car je ne veux point changer de discours ; vous apprendrez donc par ce billet que votre enfant se porte bien, et que Philisbourg est pris. [Sévigné, 475] Je vous ai ouï dire que j'avais une manière de tourner les moindres choses. [Sévigné, à Mme de Grignan, 8 janv. 1674] Pauline est trop heureuse, ma chère enfant, d'être votre secrétaire : elle apprend à penser, à tourner ses pensées, en voyant comme vous lui faites tourner les vôtres. [Sévigné, 1er juin 1689] C'était un ouvrage assez difficile que de tourner la vérité, en de certains endroits, d'une manière qui la fît connaître, et qui ne fût pas néanmoins offensante ni désagréable à la princesse. [La Fay. Hist. Henr. d'Angl. Préf.] Il [J. B. Rousseau] savait très bien tourner une épigramme licencieuse et une stance. [Voltaire, L. XIV, écrivains, Rousseau] La correction du style est devenue d'une nécessité absolue ; on est obligé de tourner quelquefois un vers en plusieurs manières, avant de rencontrer la bonne. [Voltaire, Comm. Corn. Rem. Rodog. IV, 3] J'ai dit souvent que la meilleure manière de juger les vers, c'est de les tourner en prose en les débarrassant seulement de la rime. [Voltaire, Mél. litt. à M. de Tressan.] Boileau, correct auteur de libelles amers, Boileau, dit Marmontel, tourne assez bien un vers. [Gilbert, Le XVIIIe siècle] Comment, sans vous compromettre, Vous tourner un compliment ? [Béranger, Chansons]
  • 3Détacher en spirale l'écorce d'un fruit ou d'un légume. Tourner un citron.

    Tourner le pain, lui donner une forme arrondie.

    Tourner les têtes, faire et façonner les têtes d'épingles.

  • 4Mouvoir en rond, circulairement. Tourner une roue. Tourner la broche. La Parque qui tournait ce précieux fuseau. [Rotrou, Bélisaire] J'opinerais qu'à cause de ces répétitions on le mît ici en la place de Sisyphe, et qu'on lui donnât cette grosse pierre à tourner et à retourner sans fin, comme il a fait ses sujets. [Fontenelle, Jug. de Plut.]

    Tourner le sas, voir SAS.

    Terme de marine. Tourner une manoeuvre, la fixer par un ou plusieurs tours, sur un point fixe.

  • 5D'une façon plus générale, donner un mouvement qui tient du mouvement en rond. Mais s'il [Apollon] eût dit : voyez quelle est votre conquête ; Je suis un jeune dieu, toujours beau, toujours frais ; Daphné, sur ma parole, aurait tourné la tête. [Fontenelle, Poés. div. Oeuv. t. IV, p. 363, dans POUGENS] J'ai vu ces chênes orgueilleux toucher le ciel de leur cime ; j'ai tourné la tête, et ils n'étaient plus. [Diderot, Opinions des anciens philosophes] Chaque bruit léger, chaque mouvement que j'entendais dans l'antichambre me faisait tourner la tête du côté de la porte. [Genlis, Mères riv. t. II, p. 63, dans POUGENS]

    Tournez la main, aussi vite que quand on tourne la main. Je suis prompte, mais, tournez la main, voilà qui est fini. [Genlis, Théâtre d'éduc. la Curieuse, III, 5]

    Tourner tête, tourner visage, se tourner pour faire face. Les ennemis le poursuivaient, il tourna tête, et les obligea de reculer à leur tour. Ces Numides, aussi bien que les Parthes, n'étaient jamais plus terribles que quand ils semblaient prendre la fuite par crainte et par lâcheté ; car, alors tournant tout à coup visage, ils lançaient leurs traits et leurs flèches contre l'ennemi. [Rollin, Histoire ancienne]

    Tourner ses souliers, les déformer en marchant, de manière que le pied n'y est plus bien placé.

    Familièrement. Tournez-moi les talons, partez, éloignez-vous de moi

    Tourner le dos à quelqu'un, lui présenter le dos. Une jolie fille dit l'autre jour à Rennes une folie.... vous connaissez M. de la Trémouille et sa belle taille et sa laideur ; il regardait une autre jolie personne dont il faisait l'amoureux, et tournait le dos à celle-ci.... [Sévigné, 601] Bartholo : Sachez que, quand je dispute avec un fat, je ne lui cède ja mais. - Figaro lui tourne le dos : Nous différons en cela, monsieur ; moi je lui cède toujours. [Beaumarchais, Le barbier de Séville, ou La précaution inutile]

    Fig. et familièrement. Tourner le dos à quelqu'un, rompre avec lui, abandonner ses intérêts, lui devenir contraire. Les hypocrites nombreux que ce séjour renferme lui tournèrent le dos comme à un philosophe ennemi de l'Église et de ses pasteurs. [D'alembert, Éloges, Massillon, note 3]

    Fig. La fortune lui a tourné le dos, la fortune lui est devenue contraire.

    Tourner le dos aux ennemis, ou, simplement, tourner le dos, fuir.

    Il tourne le dos où il veut aller, au lieu d'aller où il veut, il prend un chemin tout opposé.

    Fig. Tourner le dos à la mangeoire, ou, bassement, tourner le cul à la mangeoire, se mettre dans une situation contraire à celle que demande la chose qu'on veut faire.

    Tourner en fuite, mettre en fuite. Cléobule survient avec quelques amis, Met l'épée à la main, tourne en fuite le reste. [Corneille, Théodore et Héraclius]

  • 6Diriger vers. Ils tournèrent leurs armes contre eux-mêmes, et ils se tuèrent les uns les autres. [Sacy, Bible, Paralip. II, XX, 23] Quelle joie !... Si leur haine, de Troie oubliant la querelle, Tournait contre eux le fer qu'ils aiguisent contre elle ! [Racine, Iphigénie en Aulide] Je crois que je serais mort de douleur, si elle n'avait tourné sur moi quelques regards. [Montesquieu, Le temple de Gnide] Tourne les yeux, sa tombe [de Jésus-Christ] est près de ce palais. [Voltaire, Zaïre] Les ivrognes tournent leurs mains contre eux-mêmes. [Desjardins, Rapp. à l'Assembl. nat. n° 786, p. 16]

    Ce prince tourna ses armes, ses forces contre tel État, il fit marcher ses troupes de ce côté-là, pour porter la guerre.

    Fig. Tourner les yeux sur, considérer, songer à. Je ne puis tourner les yeux sur le passé, sans une horreur qui me trouble. [Sévigné, 148] Ce miracle inouï me fit tourner les yeux Vers la divinité qu'on adore en ces lieux. [Racine, Iphigénie en Aulide] De quelque part sur moi que je tourne les yeux, Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux. [Racine, Andromaque] Je ne tourne point sans répugnance les yeux sur le passé ; il m'humilie jusqu'au découragement. [Rousseau, Julie, ou la Nouvelle Héloïse]

    Tourner les yeux, avec un nom de chose pour sujet, faire considérer. Cet inconvénient tourna les yeux du ministère de Versailles vers l'île de Cerné [Ile de France], où les Portugais, suivant leur méthode, avaient jeté quelques quadrupèdes et des volailles. [Raynal, Histoire philosophique et politiques des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes]

    Tourner ses pas d'un côté, vers un endroit, aller de ce côté, vers cet endroit. Qui tourne ici ses pas ? [Voltaire, Les Scythes]

    Tourner les pas de quelqu'un, le faire aller à. Mon désespoir tourna mes pas vers l'Italie. [Racine, Bérénice]

    Terme de construction. Exposer et disposer avec avantage un bâtiment.

    Tourner les pieds en dedans, en dehors, porter la pointe des pieds en dedans, en dehors.aire le tour de. Comme il y avait de grandes difficultés à tourner le promontoire Malée, où des vents opposés se rencontrent et causent des naufrages. [Montesquieu, L'esprit des lois] Je pris l'instant où personne ne songeait à moi : je tournai le coin de la rue et je disparus. [Rousseau, Les confessions] Après avoir observé la caverne, je tournai le rocher dans lequel est son ouverture. [Saussure, Voir Alpes, t. I, p. 159, dans POUGENS]

    Terme de chasse. Tourner un lièvre, tourner des perdrix, tourner autour du lièvre, autour des perdrix. Elles [les barges] courent comme des perdrix ; et le chasseur, en les tournant, les rassemble assez pour en tuer plusieurs d'un seul coup. [Buffon, Oiseaux]

    Tourner un bois, un buisson, en faire le tour.

    Fig. Tourner quelqu'un, chercher à entamer avec lui quelque discussion délicate. Depuis quelques jours le roi tournait Monseigneur pour lui parler. [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon]

  • 8 Terme de guerre. Tourner l'ennemi, un poste, une montagne, etc. les prendre à revers. Éphialtès, qui avait indiqué aux Perses le sentier de la montagne par lequel ils tournèrent les Grecs aux Thermopyles. [Letronne, Instit. Mém. inscr. et bell. lett. t. VI, p. 252]
  • 9Changer le côté, la situation d'une chose. Tourner une étoffe d'un autre sens. Ceux qui ne veulent point se délasser avec moi peuvent passer outre ; il leur est permis, ils n'ont qu'à tourner la page. [Malebranche, De la Recherche de la vérité] L'étranger [Law] a tourné l'État comme un fripier tourne un habit ; il fait paraître dessus ce qui était dessous. [Montesquieu, Lettres persanes] Périclès répondit que les lois ne leur permettaient pas d'ôter le tableau sur lequel on avait inscrit ce décret Si vous ne le pouvez ôter, dit un des ambassadeurs, tournez-le seulement : vos lois ne vous le défendent pas. [Barthélemy, L'atlas du Voyage du jeune Anacharsis]

    Fig. Le poids de sa grimace, où brille l'artifice, Renverse le bon droit, et tourne la justice ! [Molière, Le misanthrope]

    Fig. Tournez la médaille, considérez cette personne ou cette chose du côté opposé.

    Fig. Tourner casaque, abandonner son parti.

    Fig. Tourner sa jaquette, même sens. J'ai reçu nouvelles que notre ancien ami Sorbière.... a tourné sa jaquette, en se faisant catholique romain. [Patin, Lettres choisies]

    Tourner bride, se dit d'un cavalier qui revient sur ses pas.

    Terme de marine. Tourner l'horloge, retourner le sablier.

    Tourner la tête à quelqu'un, la faire tourner sur le cou. Le photographe tourna à droite la tête de celui dont il voulait prendre le portrait.

    Fig. Tourner la tête à quelqu'un, l'excéder, l'importuner.

    Tourner la tête à quelqu'un, lui faire changer une bonne résolution pour une mauvaise.

    Tourner la tête, rendre fou, extravagant. Un excès de tendresse qui vous tourne la tête. [Hamilton, Mémoires du chevalier de Grammont] Tout cela lui a tourné la tête, et la tournerait à un autre. [Marivaux, Les serments indiscrets] L'opinion des armes enchantées dut tourner la tête à beaucoup de gens. [Montesquieu, L'esprit des lois]

    Tourner la tête, inspirer un orgueil extravagant. Je suis capucin au spirituel et au temporel.... tant de dignités ne m'ont point tourné la tête ; les honneurs chez moi ne changent point les moeurs. [Voltaire, Correspondance]

    Tourner la tête, inspirer un violent amour. Un sentiment qui ne peut remplir le coeur qu'après avoir tourné la tête. [Genlis, Ad. et Th. t. III, p. 277, dans POUGENS] Vous me plaisez, et j'ai le plus grand désir de vous tourner la tête. [Genlis, Veill. du chât. t. III, p. 450, dans POUGENS] Tu es charmante, et tu vas lui tourner la tête. [Picard, Les deux Philibert]

    Tourner la tête, plaire extrêmement, en parlant de quelque chose. On joue à présent à Marseille le Père de famille ; je suis désolé de ne pouvoir vous envoyer la gazette qui fait mention de son succès ; toutes les têtes en sont tournées. [Diderot, Lettres à Sophie Voland] Aimez-vous l'histoire naturelle ? moi, elle me tourne la tête. [Genlis, Théâtre d'éduc. Voyageur, II, 3]

  • 10 Fig. Donner une certaine direction, en parlant de choses morales. Soit que l'Euphrate à sa conquête Te fasse tourner ton désir.... [Malherbe, VI, 2] D'Attila, s'il se peut, tournons l'emportement, Ou contre ma rivale, ou contre son amant. [Corneille, Attila] Il a différentes inclinations, selon la diversité des tempéraments qui le tournent et le dévouent tantôt à la gloire, tantôt aux richesses et tantôt aux plaisirs. [La Rochefoucauld, Prem. pens. n° 1] Il [Vardes] fit si bien que je ne pus tourner mon inquiétude que sur le passé [de votre santé]. [Sévigné, à Mme de Grignan, 22 sept. 1677] N'est-ce pas Dieu qui a tourné son coeur [de Mme de la Sablière] ?... n'est-ce pas Dieu qui lui donne la vue et le désir d'être à lui ? [Sévigné, 21 juin 1680] Dieu est le maître de nos volontés, il nous les tourne comme il lui plaît. [Sévigné, t. x, p. 543, éd. RÉGNIER.] Ce corps qui est uni si étroitement à l'âme, devient l'objet le plus cher de ses complaisances, elle tourne tous ses soins de son côté.... [Bossuet, Oraisons funèbres] Il tourna uniquement ses vues et ses désirs vers l'Académie des sciences. [Mairan, Élog. de Petit.] Le terrain aride de l'Attique faisait une nécessité de tourner l'industrie des habitants aux arts et au commerce. [Condillac, Hist. anc. I, 16]

    Tourner toutes ses pensées à quelque chose, vers quelque chose, y appliquer toutes ses pensées. La pauvre Mme de la Fayette.... tourne toutes ses pensées à finir comme ma pauvre tante. [Sévigné, 9 juill. 1677] Il tourna toutes ses pensées à l'établissement du culte divin. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle]

    On dit dans le même sens : tourner son coeur à Dieu.

  • 11 Fig. Donner une certaine manière d'être, un certain aspect. On tournera cette affaire d'une manière dont vous aurez sans doute toute sorte de contentement. [Sévigné, 20 nov. 1673] Croyez-vous que mon style, qui est toujours tout plein d'amitié, ne se puisse mal interpréter ? je n'ai jamais vu de ces sortes de lettres entre les mains d'un tiers, qu'on ne pût tourner sur un méchant ton. [Sévigné, à Bussy, 12 janv. 1681] Ils se rendirent les arbitres de la doctrine et de la religion, qu'ils tournèrent insensiblement à des pratiques superstitieuses. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle] Il faut patienter sur la grande affaire, et espérer que Dieu la tournera pour sa gloire. [Maintenon, Lettres] Si l'on pouvait quelquefois craindre que par le don de la parole M. du Verney n'eût la facilité de tourner les faits selon ses idées. [Fontenelle, du Verney.]

    Tourner bien, tourner mal une affaire, une chose, lui donner un bon, un mauvais aspect. Madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses d'une manière si agréable, qu'il faut être de son sentiment, malgré qu'on en ait. [Molière, Critique de l'école des femmes] Vous avez fort bien tourné la chose. [Bossuet, Lett. quiét. 76]

    Tourner tout en mal, tourner tout en bien, interpréter tout en mauvaise part, en bonne part.

    Tourner les choses à son avantage, les interpréter avantageusement pour soi, ou savoir en tirer avantage.

    Tourner une chose en raillerie, la prendre comme dite ou faite en raillant et sans dessein d'offenser. Il ne se fâcha pas des choses désagréables qu'on lui disait, il les tourna en raillerie.

    Tourner quelque chose en plaisanterie, en faire le sujet de plaisanteries. Le génie des Français est de tourner en plaisanterie les événements les plus affreux. [Voltaire, La Henriade]

    Tourner en raillerie, en dérision, se moquer de quelque chose. Tel d'entre eux tourne en dérision tout ce qui est honnête, qui serait au désespoir que sa femme pensât comme lui. [Rousseau, Émile, ou De l'éducation]

    On dit dans le même sens : tourner en ridicule. Les amies de la voyageuse, voyant que le dessous des cartes se découvre, affectent fort de rire, et de tourner cela en ridicule. [Sévigné, 209]

    Tourner quelqu'un en ridicule, faire rire à ses dépens. Va, ne me tourne point Octar en ridicule. [Corneille, Attila] Je suis bien aise que Piron gagne quelque chose à me tourner en ridicule [Voltaire avait été dupe de vers faits par un homme sous le nom d'une femme ; ce que Piron a mis dans sa Métromanie]. [Voltaire, Correspondance] La Comédie des philosophes, dans laquelle je fus tourné en ridicule et Diderot extrêmement maltraité. [Rousseau, Les confessions] Les Parisiens ne laissent pas échapper une occasion de tourner la cour en ridicule. [Genlis, Méres riv. t. I, p. 130, dans POUGENS]

    Tourner quelqu'un en ridicule, avec un nom de chose pour sujet, le rendre ridicule. Et qu'un si grand courroux contre les moeurs du temps Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens. [Molière, Le misanthrope]

    Tourner en burlesque, rendre burlesque. Il n'y a rien de si profane dont on ne puisse tirer des moralités, ni rien de si sérieux qu'on ne puisse tourner en burlesque. [Dumars. Tropes, III, 9]

  • 12Tourner contre, rendre contraire à. Vous tournez contre Dieu tout ce que vous avez reçu de lui ; votre abondance sert à vos passions.... [Massillon, Petit carême] Il y a un mauvais génie qui tourne tout ici contre moi. [Beaumarchais, Le mariage de Figaro, ou La folle journée]
  • 13Disposer, arranger. Chacune de ces troupes de chevaux [sauvages] a un cheval chef qui la commande, qui la guide, qui la tourne et range quand il faut marcher ou s'arrêter. [Buffon, Quadrupèdes]
  • 14Changer. La furie de votre bourreau qui tourne son exécution en un combat particulier contre son pendu. [Sévigné, 9 mars 1689] Quel changement produisait en moi ma complaisance pour des liaisons trop aimables, que l'habitude commençait à tourner en amitié ! [Rousseau, Émile, ou De l'éducation]

    Tourner le discours, changer le sujet de l'entretien. J'en ai déjà parlé, mais il a su gauchir, Et, tournant le discours sur une autre matière, Il n'a ni refusé ni souffert ma prière. [Corneille, La mort de Pompée] Je puis par des propos éloignés couper la conversation, et peu à peu la tourner sur d'autres sujets. [Bourdaloue, Exhort. faux témoig. rendus contre J. C. t. II, p. 26]Tourner le sang, causer une très vive et très pénible impression. Elle dit que le déchaînement qu'elle voit contre moi lui tourne le sang, et elle est bien étonnée de ma philosophie à cet égard. [Genlis, Mères riv. t. I, p. 356, dans POUGENS] Mais aussi ce billet.... il m'a tourné le sang ! [Beaumarchais, Le mariage de Figaro, ou La folle journée]

  • 16Traduire (sens qui vieillit). Leurs Écritures [des Juifs] furent tournées en grec, et on vit paraître cette célèbre version appelée la Version des Septante. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle] Nous allâmes le jour suivant, lundi, pour voir Jannes Tornoeus, homme docte, qui a tourné en lapon tous les psaumes de David. [Regnard, Voyage de Laponie au commencement]
  • 17Agir sur la volonté. Comme nous avions eu deux ou trois jours pour tourner les esprits. [Retz, Mémoires] Ainsi que je voudrai, je tournerai cette âme. [Molière, L'école des femmes] Et tournant à son gré ce coeur simple et sincère. [Voltaire, Irène, v, 1]

    Tourner une personne à son gré, lui faire faire ou dire ce qu'on veut.

  • 18Tourner quelqu'un de tous les sens, de tous les côtés, lui faire diverses questions, diverses propositions, afin de tirer de lui ce qu'il sait ou ce qu'il veut. Par tant d'endroits tourna sa femme Qu'il apprit que.... [La Fontaine, Cordel.] À la fin, elles la tournèrent de tant de côtés, que la pauvre épouse avoua la chose comme elle était. [La Fontaine, Psyché, I, p. 75] Je l'ai tant tourné de tous les côtés, qu'il a prêté l'oreille aux propositions que je lui ai faites d'ajuster l'affaire pour quelque somme. [Molière, Les fourberies de Scapin]

    Absolument. Tourner quelqu'un, l'interroger avec adresse. Elle fait tant, tourne tant son amie Que.... [La Fontaine, Comm. l'espr.] Quand il a voulu me tourner pour savoir le nom de celui que vous préfériez. [Genlis, Théât. d'éduc. Amant anon. IV, 2]

    Tourner quelqu'un, le circonvenir. Le chevalier son frère, homme d'esprit, me tourna si bien, me faisant entendre qu'il y avait des droits attachés à la place de secrétaire, qu'il me fit accepter les mille francs. [Rousseau, Les confessions]

  • 19Examiner de tous les côtés. Et tous les avocats, Après avoir tourné le cas En cent et cent mille manières, Y jettent leur bonnet. [La Fontaine, Fables]
  • 20Tourner une case, se dit au trictrac, quand d'une case déjà faite on ôte une dame pour en composer une autre case entière, en y joignant une autre dame.
  • 21 vi Se mouvoir en rond. La tête d'une femme est comme la girouette Au haut d'une maison qui tourne au premier vent. [Molière, Le dépit amoureux] Il me semblait que j'étais à Dol dans un palais d'Atlante ; tous les noms que je connais tournaient autour de nous sans que nous les vissions. [Sévigné, 1er août 1685] Et le pupitre enfin tourne sur son pivot. [Boileau, Le lutrin] Le soleil tourne en vingt-cinq jours et demi sur lui-même, et la terre en un jour sur elle-même. [Voltaire, Mél. litt. à M***.] Il importe peu pour la société que ce soit la terre qui tourne ; mais il importe que les hommes qui tournent avec elle soient justes. [Voltaire, Socrate, III, 1] Un autre écrivait ou lisait, en tournant avec rapidité sur lui-même. [Barthélemy, L'atlas du Voyage du jeune Anacharsis] Elle parlait : soudain avec un bruit terrible, Sur ses gonds mugissants tourne la porte horrible. [Delille, En. VI]

    Fig. Voilà la girouette qui va tourner !... est-ce là une femme ? elle ne contredit point ! [Lesage, Crispin rival de son maître]

    Faire tourner le sas, voir SAS.

    Faire tourner la baguette divinatoire, voir BAGUETTE.

    Fig. et familièrement. Tourner à tout vent, tourner comme une girouette, avoir l'esprit variable, être versatile Ne tourner point à tout vent, et n'allez point par toute sorte de routes. [Sacy, Bible, Ecclésiast. v, 11] Vous tournez à tout vent, vous faites flèche de tout bois. [Diderot, Lett. à Falconet, févr. 1766]

  • 22Se mouvoir, être mû à droite ou à gauche par un mouvement qui a quelque chose du mouvement en rond. Ce cocher a tourné trop court. Dites-lui qu'il tourne à droite. Le vent a tourné. D'un carrosse, en tournant, il accroche une roue. [Boileau, Satires] Il l'observe de l'oeil ; et, tirant vers la droite, Tout d'un coup tourne à gauche.... [Boileau, Le lutrin] J'ai des chevaux, morbleu, qui tourneraient sur la pointe d'une épée. [Dancourt, Femme d'intrigues, III, 11] Ils tournent dans une allée, moi dans le taillis. [Marivaux, L'heureux stratagème]

    Fig. ...Tes soucis doivent tourner ailleurs. [Corneille, la Place roy. v, 7]

    Tournez, se dit à un cocher, pour lui faire prendre une direction opposée.

    Le vent tourne au nord, à l'est, etc. il passe au nord, etc.

    Tourner court, s'arrêter brusquement dans sa marche et se diriger d'un autre côté. Il tourna tout court au siége de la montagne. [Vaugelas, Q. C. 354]

    Fig. Tourner court, abréger. L'orateur a tourné court et s'est hâté de finir.

    La maladie a tourné court, elle s'est terminée par une mort prompte et inattendue.

    Ce dénoûment tourne trop court, il n'est pas assez ménagé.

  • 23 Terme de chasse. Tourner au change, se dit des chiens lorsqu'ils attaquent un autre animal que celui de meute.

    Se dit de la bête que l'on poursuit, quand elle fait un retour.

    On fait tourner les chiens pour trouver le retour et le bout de la ruse.

  • 24 Terme de manége. Prendre une autre direction que celle qu'on suivait d'abord ; changer de main.

    Tourner à toutes mains, se dit d'un cheval qui sait accomplir une conversion au pas, au trot et au galop.

    Se dit aussi d'un cheval qui tourne aussi aisément à droite qu'à gauche.

  • 25 Terme de peinture. Se dit des formes, des contours bien accusés, dont l'oeil saisit facilement le relief. Cet objet tourne bien.

    On dit de même que la lumière et l'air tournent autour d'un objet, pour exprimer que cet objet se détache de la toile.

  • 26Changer de côté, de situation. Souvent la tempête faisait tourner cette grande pièce de bois, et nous nous trouvions enfoncés dans la mer. [Fénelon, Télémaque]

    Le pied m'a tourné, j'ai eu une foulure. Rosine : Non, je ne me trouve pas mal.... mais c'est qu'en me tournant.... ah !... - Le comte : Le pied vous a tourné, madame ? - Rosine : Ah ! oui, le pied m'a tourné. [Beaumarchais, Le barbier de Séville, ou La précaution inutile]

  • 27Se diriger vers. Il sort du pavillon pour tourner vers ces lieux.... [Tristan, Panthée] En quel lieu sommes-nous ? De quelque part qu'on tourne, on ne voit que des fous. [Molière, Les fâcheux]

    Fig. Ne savoir de quel côté tourner, ne savoir que faire, que devenir. Hélas ! que faire ? hélas ! de quel côté tourner ? [Baron, Andrienne, I, 7]

    Fig. Tourner du côté de quelqu'un, se ranger de son parti.

  • 28 Fig. Tourner vers, incliner vers, en parlant de choses morales. Mortel, ouvre les yeux, et vois que la misère Te cherche et te suit en tout lieu, Et que toute la vie est une source amère, à moins qu'elle tourne vers Dieu. [Corneille, L'imitation de Jésus-Christ] Rendez cet office à ces princes de savoir adroitement de ma fille vers qui des deux ses sentiments peuvent tourner. [Molière, Les amants magnifiques] Le roi ayant commencé à tourner vers la dévotion, Mme de Maintenon l'y porta de plus en plus. [Duclos, Oeuv. t. v, p. 182]

    En un sens opposé, tourner contre. Sa fureur est extrême, Et pourrait bien enfin tourner contre elle-même. [Quinault, Belléroph. v, 4]

    Tourner sur, s'occuper uniquement de. J'admire comme on peut tourner uniquement sur une pensée [la santé de Mme de Grignan], et comme tout le reste me paraît loin. [Sévigné, 19 janv. 1680]

  • 29Aller et venir. Quelle maison [un terrier] pour lui ! l'on y tournait à peine. [La Fontaine, Fables] Il [Turenne] dit au petit d'Elbeuf : Mon neveu, demeurez là ; vous ne faites que tourner autour de moi, vous me feriez reconnaître. [Sévigné, 211] Je hais bien les affaires, je trouve qu'elles nous gourmandent beaucoup, et nous font aller, et venir, et tourner à leur fantaisie. [Sévigné, 422] Elle [Mme de Vins] ne cherche plus de douceur que dans sa famille ; c'est ce qu'il y a de plus solide, après avoir bien tourné. [Sévigné, 9 juin 1680]

    Circuler, en parlant de lettres, de dires. Qu'elle [Mme de Coulanges] ne sache point que je vous envoie ses lettres ; elle vous en écrirait autant ; mais on n'aime point que cela tourne. [Sévigné, 7 juill. 1680] .... Les reproches amers de M. de la Trousse, qui me dit que je devrais donc lui faire vendre [à mon fils] sa charge pour vaquer à celle de mon intendant ; je vous prie que ceci ne tourne point. [Sévigné, t. VI, p. 149, édit RÉGNIER.]

    Fig. Tourner autour de quelqu'un, essayer de s'insinuer auprès de lui. Broglio s'avisa de trouver mauvais que le prince royal [de Danemark] tournât autour d'elle [sa femme], et qu'elle le reçût bien. [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon]

    Fig. Tourner autour du pot, voir POT, n° 7.

    Fig. Tourner autour d'une pensée, la délayer. Fénelon conseille aux écrivains d'être simples, et il prend ce moment-là pour ne l'être point lui-même ; il tourne autour d'une même pensée, et il la répète sans la rendre ni plus vive ni plus sensible. [Condillac, Art d'écr. III, 4]

    Fig. Tourner autour d'une pensée, du mot de l'énigme, en approcher sans les rencontrer complétement. Je tournais tout autour de cette pensée, et ce que je disais ne me contentait point. [Sévigné Ch. dans SÉV. 15 janv. 1690] Il me paraît que je tourne autour du mot de l'énigme, mais je peux me tromper ; vous savez que je ne suis pas grand politique. [Voltaire, Correspondance] Les philosophes ont tourné autour des causes de la pesanteur sans pouvoir les trouver. [Voltaire, Dialogue de Pégase et du vieillard] Il y a, au moment où j'écris, plusieurs personnes qui tournent autour du secret de M. Bachelier. [Diderot, Pensées sur la peinture]

  • 30Hésiter, balancer, essayer, tenter. Jupiter eut jadis une ferme à donner ; Mercure en fit l'annonce, et gens se présentèrent, Firent des offres, écoutèrent : Ce ne fut pas sans bien tourner ; L'un alléguait que l'héritage.... [La Fontaine, Fables] Puis je tiens inutile De tant tourner, il n'est que d'aller droit. [La Fontaine, Magn.] Hippocrate ne fait Choix de ses mots, et tant tourner ne sait. [La Fontaine, Abb.] Le pèlerin, sans tant tourner, lui dit.... [La Fontaine, Pet. chien.] M. de Paris tourna longtemps sans pouvoir être entendu par un homme si rempli de soi-même. [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon]
  • 31La tête lui tourne, il se trouve étourdi pour avoir regardé en bas d'un lieu fort élevé. La tête ne tourne point au couvreur sur les toits. [Rousseau, Émile, ou De l'éducation]

    La tête lui tourne, il a des étourdissements, des vertiges. Votre soleil me fait peur ; comment ? les têtes tournent ! on a des apoplexies comme on a des vapeurs ici, et votre tête tourne comme les autres. [Sévigné, 13 avril 1672]

    Fig. Cette âme a bu les plaisirs du siècle, et, la tête lui ayant tourné, elle est tombée d'une grande chute. [Bossuet, Sermons]

    La tête lui tourne, l'esprit lui tourne, il extravague, il devient fou. L'esprit a tourné à la pauvre Mme de Nogent. [Sévigné, 148] La tête a tourné à deux docteurs. [Bossuet, Lett. quiét. 271] C'était [Dangeau] le meilleur homme du monde, mais à qui la tête avait tourné d'être seigneur. [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon] La comtesse : Oui, si l'esprit me tourne. - Le baron : Eh bien, il vous tournera : c'est si peu de chose que l'esprit. [Marivaux, La surprise de l'amour] Il m'a paru que la tête avait tourné à ce commandant infortuné [Lalli], mais qui ne méritait pas qu'on la lui coupât. [Voltaire, Correspondance]

    Fig. Faire tourner la tête, exciter amour, admiration, transport. Vous citez plaisamment cette dame qui aimait à faire tourner la tête à des moines ; ce serait une bien plus grande merveille de la faire tourner à M. de Vence. [Sévigné, 125] Cette belle tête deviendra chauve ; or je n'ai qu'à la voir à présent des mêmes yeux dont je la verrai alors ; et assurément cette tête ne fera pas tourner la mienne. [Voltaire, Memnon.] Aux battements de mains, aux acclamations de l'assemblée la tête lui tourne, il est hors de lui. [Rousseau, Émile, ou De l'éducation] Le bruit a couru ici que vous deviez venir entendre Mlle Clairon dans la nouvelle salle, et voir jouer ce rôle d'Idamé qui a fait tourner la tête à tout Paris. [D'alembert, Lett. à Voltaire, 28 juill. 1756]

    Fig. La tête lui tourne, il ne se connaît plus dans la bonne fortune. Il se trouve des hommes qui soutiennent facilement le poids de la faveur et de l'autorité, qui se familiarisent avec leur propre grandeur, et à qui la tête ne tourne point dans les postes les plus élevés. [La Bruyère, XI] Donnez-moi un peu de grandeur, mais ne m'en donnez pas trop, de peur que la tête ne me tourne. [Voltaire, Correspondance]

    Il se dit aussi de celui à qui quelque chose trouble l'esprit. La tête tourne à nos pauvres ennemis : la vue de M. de Turenne les renverse. [Sévigné, 12 juin 1675] Les hommes insolents pendant la prospérité sont toujours faibles et tremblants dans la disgrâce ; la tête leur tourne aussitôt que l'autorité absolue leur échappe. [Fénelon, Télémaque] La tête me tourna de la rapidité avec laquelle on y allait. [Marivaux, Le paysan parvenu] Ma tête, qui n'est pas plus grosse que celle d'un lapin, m'a un peu tourné ; il faut digérer et avoir une grosses tête pour bâtir des maisons et des comédies et pour diriger les têtes des autres. [Voltaire, Correspondance] Il [P. L. Courier] eut son grain d'ambition, son quart d'heure de folie, comme un autre ; la tête aussi lui tourna ; mais cela ne dura guère, il en revint bientôt avec mécompte et corrigé pour toute sa vie. [Carrel, Oeuvres, t. v, p. 196]

    Il est si embarrassé que la tête lui tourne, que la tête lui en tourne, il a tant d'affaires, ou il se trouve dans une situation si difficile, qu'il ne sait quel parti prendre.

  • 32 Fig. Dépendre essentiellement. M. le Duc pleura ; c'était sur Vatel que tournait tout son voyage de Bourgogne. [Sévigné, 47] Tout tourne ou sur vous, ou de vous, ou pour vous, ou par vous. [Sévigné, à Mme de Grignan, 23 mars 1671]
  • 33 Changer Mais las ! mon sort est bien tourné. [Régnier, Stances relig.] Amitié dangereuse et redoutable zèle, Que règle la fortune et qui tourne avec elle. [Corneille, La mort de Pompée] Qui leur tira mourant la victoire des mains, Et fit tourner le sort des Perses aux Romains. [Corneille, Polyeucte]

    Le sort a tourné, il a passé d'un autre côté. À ce moment le sort tourna. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle]

    La chance a tourné, les choses ont changé de face.

    Le temps tourne au froid, il devient froid. Nous demeurâmes quarante jours à Gawbockheim par un temps charmant, quoique tournant un peu sur le froid. [Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon]

  • 34Tourner en, se changer en. L'amour que j'ai pour toi tourne en haine pour elle. [Corneille, Rodogune, princesse des Parthes] La règle que donne saint Augustin est de modérer l'usage de la communion, quand elle tourne en dégoût. [Bossuet, Oraisons funèbres]

    Fig. et familièrement. Faire tourner quelqu'un en bourrique, le tourmenter tellement qu'il ne sait ce qu'il fait ou ce qu'il dit.

  • 35Tourner à la mort, se dit d'un malade tombant rapidement dans un état qui fait augurer une mort prochaine. Monsieur le Prince demanda cette grâce [du prince de Conti] au roi on peu avant que de tourner à l'agonie. [Sévigné, 13 déc. 1686]

    On dit dans le même sens : La maladie tourne à la mort. Vous voyez tous les jours les infirmités les plus légères tromper les conjectures de l'art et l'attente des malades, et tourner tout d'un coup à la mort. [Massillon, Carême, Mort.]

  • 36Avoir une certaine issue. Cette maladie, cette affaire tourne mal. L'affaire a bien tourné. L'attaque de la demi-lune a mal tourné. [Pellisson, Lettres historiques] Vous aurez vu comme la chose a tourné. [Sévigné, 114] N'importe, si mes soins tournent heureusement. [Gresset, Le méchant]

    Tourner à, tourner en, même sens. Seigneur, ne faites rien qui tourne à votre blâme. [Du Ryer, Scévole, I, 7] Tout tourne en bien pour les élus, jusqu'aux obscurités de l'Écriture ; car ils les honorent, à cause des clartés divines ; et tout tourne en mal aux réprouvés, jusqu'aux clartés ; car ils les blasphèment à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas. [Pascal, Pensées] N'est-il pas vrai, ma fille, que tout tourne à bien pour ceux qui sont heureux ? l'Évangile le dit, il faut le croire. [Sévigné, 390] Quiconque pense invoquer Dieu en un autre nom qu'en celui de notre Seigneur Jésus-Christ, sa prière lui tourne à damnation. [Bossuet, Sermons] [David] par sa pénitence a fait tourner son crime à la gloire de son créateur. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle] Et bientôt le combat tourne à son avantage. [Racine, La Thébaïde, ou Les frères ennemis] Tout leur art leur tournait à mal. [Lamotte, Fabl. v, 7] Tous leurs efforts pour me nuire ont tourné à leur confusion, et leur ont attiré les mortifications les plus cruelles. [Rousseau, Correspondance] Monsieur, vous seul pouvez rétablir cette affaire : Elle tourne au plus mal. [Gresset, Le méchant]

    Tout tourne contre lui, rien ne lui réussit. La vérité, celle même qui tourne contre lui, ne paraît pas lui déplaire. [A. Duval, Jeun. de Richel. I, 6]

    Ce jeune homme tourne mal, tourne bien, il ne soutient pas, il soutient les espérances qu'on avait conçues de lui. Enfin mon frère tourna si mal qu'il s'enfuit et disparut tout à fait. [Rousseau, Les confessions] Faut-il, dans la crainte qu'elles ne tournent mal, les élever dans l'ignorance ? [Genlis, Théât. d'éduc. Lingère, I, 7]

  • 37S'altérer, prendre une mauvaise qualité. Le lait a tourné sur le feu. Ce vin tourne à l'aigre. Il est à craindre que cette sauce ne tourne. Les vins les moins spiritueux sont ceux qui tournent le plus vite. [Genlis, Maison rust. t. III, p. 307, dans POUGENS] Du vin qu'a fait tourner l'orage, Un vin nouveau bientôt consolera. [Béranger, Vend.]

    Par exagération. Cela fait tourner le sang, cela cause un saisissement, une émotion très pénible.

  • 38Tourner au gras, se dit du salpêtre, lorsque, dans les raffineries, la cuite s'en épaissit, se met en pâte sans cristalliser.
  • 39Se déformer, se déranger. La taille de cette jeune personne tourne.

    Ses yeux tournent, il devient louche.

  • 40Tourner à, se dit d'une couleur qui incline vers une certaine nuance. Cette couleur [violette] tourne au rouge ou au bleu, selon que l'un ou l'autre de ces deux principes prédomine. [Chaptal, Instit. Mém. scienc. t. III, p. 103]
  • 41Prendre de la couleur, commencer à mûrir. Le raisin tourne déjà. On attend, pour découvrir les abricots et les pêches hâtives, que ces fruits commencent à tourner, ou prendre de la disposition à mûrir. [Genlis, Maison rust. t. II, p. 490, dans POUGENS]
  • 42Pommer, en parlant des laitues. Lorsque les laitues commencent à tourner, c'est-à-dire à pommer, on doit retrancher les feuilles basses qui sont jaunes. [Genlis, Maison rust. t. II, p. 453, dans POUGENS]
  • 43 Populairement. Tourner de l'oeil, mourir.
  • 44 Impersonnellement, tourner s'emploie dans quelques jeux, et se dit de la carte qu'on montre, qu'on découvre, et dont la couleur détermine l'atout. Il tourne carreau. De quoi tourne-t-il ?

    C'est une faute de dire : que tourne-t-il ?

    Fig. Je voudrais savoir de quoi il tourne ou retourne, de quoi il s'agit.

  • 45Se tourner, vpron Être mû en rond. Cette roue se tourne ainsi.
  • 46Se donner des mouvements qui tiennent du mouvement en rond. Se tourner dans son lit. Que nous sert cette queue ? il faut qu'on se la coupe.... Votre avis est fort bon, dit quelqu'un de la troupe ; Mais tournez-vous, de grâce ; et l'on vous répondra. [La Fontaine, Fables] On parle fort de la paix.... il semble qu'elle sera bonne à tout le monde ; on souhaitait ainsi la guerre ; c'est que nous nous tournons d'un côté sur l'autre. [Sévigné, 27 oct. 1675] Si je me vois contraint de retracer l'image de nos malheurs, je n'en ferai point d'excuse à mon auditoire, où, de quelque côté que je me tourne, tout ce qui frappe mes yeux me montre une fidélité irréprochable. [Bossuet, Oraisons funèbres] Vous savez comment le Sauveur se tourna vers lui [Pierre], et le regarda. [Bourdaloue, Exhort. sur le reniem. de St Pierre, t. I, p. 473]

    Fig. De quelque côté qu'on se tourne, quelque parti que l'on prenne. De quelque côté que vous vous tourniez, vous êtes forcé d'avouer deux choses : votre ignorance et la puissance immense du Créateur. [Voltaire, Dictionnaire philosophique]Familièrement. N'avoir pas le temps de se tourner, être très occupé, très affairé. Nous faisons tant d'affaires, que nous n'avons pas le temps de nous tourner. [Sévigné, 29 déc. 1675]

    Fig. Avoir le temps de se tourner, avoir le temps d'examiner, d'agir. Je ne pus me persuader que le roi bâclât l'affaire, de lui à Monseigneur, avec tant d'autorité et si court que Mme la Duchesse et les siens n'eussent le temps de se tourner. [Saint-simon, t. VIII, p. 262, édit. CHÉRUEL.]

    On ne peut se tourner, sans..., c'est-à-dire au moindre mouvement qu'on fait, on.... Pour les beautés, on ne pouvait s'y tourner [à la cour de Charles II] sans en voir. [Hamilton, Mémoires du chevalier de Grammont]

    Se tourner en fuite, prendre la fuite. Les Sarrasins, qui croyaient n'avoir affaire qu'aux Arméniens, qu'ils avaient déjà battus plusieurs fois, surpris de voir les étendards de Saint-Jean, qu'ils connurent encore mieux aux grands coups que ces chevaliers portaient, se tournèrent en fuite. [Vertot, Hist. de Malte, v.]

  • 47Se diriger vers. Vos yeux, vos tristes yeux Avec de longs soupirs se tournent vers les cieux. [Racine, Britannicus] Déjà dans les vaisseaux la voile se déploie ; Déjà sur sa parole [de Calchas] ils [les vaisseaux] se tournent vers Troie. [Racine, Iphigénie en Aulide] Mon coeur est comme l'aimant, il se tourne vers le nord. [Voltaire, Correspondance] Bientôt tous les yeux se tournèrent vers moi. [Riccoboni, Oeuv. t. III, p. 424, dans POUGENS]

    Fig. Rien ne se tourne du côté de la paix. [Sévigné, 25 janv. 1693] Il est heureux que notre amour-propre se tourne précisément où il doit être. [Sévigné, 24 janv. 1689] Le génie de Colbert se tourna principalement vers le commerce. [Voltaire, Le siècle de Louis XIV]

    Avec ellipse du pronom personnel. Je vous conjure, ma chère Pauline, de ne pas tant laisser tourner votre esprit du côté des choses frivoles, que vous n'en conserviez pour les solides. [Sévigné, 16 nov. 1689]

    Fig. et familièrement. Ne savoir de quel côté se tourner, ne savoir quel parti prendre, être très embarrassé. Ne sachant plus où se tourner pour sauver M. de Cambrai. [Bossuet, Lett. quiét. 381]

  • 48S'adresser à. Puis [les démons] se tournant aux saints anges : hé bien.... est-ce que nous sommes seuls ? [Bossuet, Sermons] Quand il [le monde] commencera à m'oublier, et que je ne pourrai plus en faire usage, alors je me tournerai vers vous, et je vous dirai : Me voici. [Massillon, Avent, Délai.]
  • 49Prendre parti. Les Romains méprisèrent ce gouvernement, et se tournèrent à Charlemagne. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle] César.... se tourne du côté du peuple. [Bossuet, ib. III, 7] Ces mêmes Suisses se tournèrent contre François 1er. [Voltaire, Histoire du parlement de Paris]
  • 50Se tourner contre, être contraire, lutter contre. Mais la fortune enfin se tourna contre nous. [Corneille, Rodogune, princesse des Parthes] Leurs langues ont perdu leur force en se tournant contre eux-mêmes. [Sacy, Bible, Psaum. LXIII, 9] Antoine et César, après avoir ruiné Lépide, se tournent l'un contre l'autre. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle] Alger, riche des dépouilles de la chrétienté, dans ta brutale fureur tu te tournes contre toi-même. [Bossuet, Oraisons funèbres] Je vois que tout ce qu'on a jamais dit contre la liberté de l'homme, se tourne encore avec bien plus de force contre la liberté de Dieu. [Voltaire, Correspondance]
  • 51Avoir une certaine issue. La reine a dîné.... avec Mme de Montespan et Mme de Fontevrault : vous verrez de quelle manière se tournera cette amitié. [Sévigné, 14 juin 1675] N'avançons point nos chagrins ; espérons plutôt que tout se tournera selon nos désirs. [Sévigné, 8 janv. 1690] Il [le cardinal de Retz] a un procès qu'il fera juger, parce que, selon qu'il se tournera, ses dettes seront achevées d'être payées, ou non. [Sévigné, 27 juin 1678] Tout se tourne à la paix. [Sévigné, 27 juin 1672] Son étoile à lui [M. de Lavardin], c'est que tout se tourne à bien pour le faire riche. [Sévigné, 3 juill. 1680] L'obstacle semble se tourner à rien. [Bossuet, Lett. abb. 168] Mais que cet établissement se tournât mal, ce serait un des lieux du monde où Dieu serait le plus offensé. [Maintenon, Lettres] Je ne sais ce que c'est : tout se tourne malheureusement. [Montesquieu, Lettres persanes]

    Se tourner au bien, suivre ce qui est bien. Cette princesse-là se tourne tout à fait au bien. [Maintenon, Lettres]

    Se tourner vers Dieu, donner son coeur à Dieu.

  • 52Se tourner à la mort, même sens que tourner à la mort, mais beaucoup moins usité. Dans cet état [mieux apparent], hier à six heures, il [la Rochefoucauld] se tourne à la mort.... en un mot, la goutte l'étrangle traîtreusement. [Sévigné, 17 mars 1680]
  • 53Se tourner à, arriver à, par un certain revirement. Il semble que le temps veuille se tourner au beau, comme quelques almanachs le promettent. [Pellisson, Lettres historiques] Et tout d'un coup la conversation se tourne à parler des goûts de M. de Charost. [Sévigné, 18 févr. 1689]
  • 54Se tourner en, se changer, passer d'un état à un autre. C'est lors véritablement que leur phlegme s'est tourné en bile. [Guez de Balzac, Correspondance] Nous sommes résolus, si son mal [de Mme de la Trousse] se tourne en langueur, de nous en aller en Provence. [Sévigné, 6 avril 1672] Mes affaires de Nantes vont pitoyablement ; tout s'est tourné en chicanes, en saisies. [Sévigné, 6 juill. 1689] C'était ouvrir une porte par laquelle toute l'Écriture et tous les mystères de notre salut se tourneraient en figures. [Bossuet, Histoire des variations des Églises protestantes] Tout se tourne en révoltes et en pensées séditieuses, quand l'autorité de la religion est anéantie. [Bossuet, Oraisons funèbres] L'orgueil se tourne aisément en cruauté. [Bossuet, Discours sur l'histoire universelle] Les hommes peuvent-ils espérer pour eux-mêmes quelque douceur de vie, si leur plus étroite société, qui est celle du mariage, se tourne en amertume ? [Fénelon, Traité de l'éducation des filles] Le doute s'était changé en admiration pour lui [Colomb] à son premier voyage ; mais l'admiration se tourna en envie au second. [Voltaire, Essai sur les moeurs et l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis XIII]

    La fièvre tierce s'est tournée en quarte, en continue, elle est devenue quarte, continue.

  • 55Devenir autre. La licence d'une justice arbitraire, qui, sans règle et sans maxime, se tourne au gré de l'ami puissant. [Bossuet, Oraisons funèbres] Le coeur de la reine se tourna tout d'un coup. [Hamilton, Mémoires du chevalier de Grammont]
  • 56S'égarer, en parlant de l'esprit. Personne ne peut la gouverner [Mme de Vaubrun, dans le chagrin de la perte de son mari], et l'on craint tout de bon que son esprit ne se tourne. [Sévigné, 4 sept. 1675]
  • 57Prendre une certaine tournure, une certaine manière. J'avoue que vous m'avez arrêtée tout court, et que je ne puis souffrir la manière dont cela s'est tourné dans vos têtes. [Sévigné, 411] Les choses se tournent bien différemment dans les têtes des hommes. [Voltaire, Correspondance]

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58Neutralement, commencer à s'allonger d'une manière un peu marquée, en parlant des jours. Les jours, comme on dit au village, les jours avaient tourné. [Mme de Gasparin, dans STE-BEUVE, Nouv. lundis, t. IX (Mlle Eugénie de Guérin et Mme de Gasparin, I).]
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